Portait : Carine

Carine est podcasteuse chez les Aventureux, podcast de JdR québécois. Elle est également rôliste depuis plus de 25 ans et psychiatre de formation.

« Je conserve précieusement les souvenirs des jeux qui m’ont fait vivre plein de choses dans le passé. Je ne pourrais donc pas vraiment choisir entre mes nouveaux amours ou mes anciens… Je dis souvent à la blague que je fais de la polygamie (gamie ici se prononce « game » comme le mot « jeu » en anglais). »

 

EPEJ : Comment as-tu découvert le JdR ?

Carine : J’ai commencé le jeu de rôle lorsque j’avais environ 8 ans. Ce sont 2 de mes cousins qui m’ont initiée lors d’un party de Noël chez ma grand-mère. Ils m’ont fait jouer à Donjons et Dragons 2e édition et nous avons commencé à jouer à chaque fois qu’il y avait de grosses réceptions chez ma grand-mère (Noël, Jour de l’An, Pâques, fête de ma grand-mère…). Par la suite, lorsque j’ai commencé le secondaire, je me suis fait des amis qui partageaient le même hobby et j’ai commencé à avoir des parties plus régulières et essayer quelques différents systèmes.

EPEJ : En tant que psychiatre de formation, quel regard portes-tu sur la représentation des maladies mentales dans des jeux comme l’Appel de Cthulhu ?

Carine : J’essaie en fait de ne pas trop les regarder. (Rire) Ce que je veux dire par cela est que souvent les maladies mentales sont présentées de manière plutôt stéréotypée et simplifiée. Ce qui me génère plus de frustration, ce sont comment ces maladies sont dépeintes par les joueurs, souvent de manière caricaturale par manque de connaissances ou par simplification puisqu’il s’agit souvent d’un élément secondaire au jeu. Je pense aussi que de jouer une maladie mentale « parfaitement » est très difficile. Je pense que nous avons tous nos zones de grincements de dents. Plusieurs de mes amis sont informaticiens et ont une réaction similaire à comment le « hacking » se fait dans certains jeux. J’essaie de rester zen face à cela. J’essaie de les voir plutôt un peu comme des maladies magiques qui n’ont rien à voir avec les maladies mentales que je connais.

EPEJ : Tu fais partie du podcast de JdR les Aventureux. Comment est née cette aventure ?

Carine : Les Aventureux sont nés d’une initiative d’Etienne Harvey. Il a fait un appel à la communauté car il voulait débuter un podcast sur le jeu de rôle. Marc et Philippe y ont répondu et ainsi sont nés les Aventureux. Je les ai rejoints plusieurs mois plus tard. J’ai rencontré Philippe alors qu’il faisait des soirées d’initiation aux jeux de rôles au pub Randolph (maintenant elles se font à la Récréation). Je l’ai contacté et j’ai essayé quelques jeux dont Fiasco. Il m’a invitée à faire une partie avec eux de Fiasco (Podcast 28 intitulé : Patate, Old Milwaukee et Tentacules). J’ai beaucoup aimé mon expérience et après avoir écouté leur podcast, je leur ai demandé de me joindre à eux (Philippe me taquine souvent en disant que je les ai suppliés). Ils ont accepté et c’est comme cela que j’ai commencé cette aventure avec eux.

EPEJ : Pourquoi as-tu demandé à rejoindre les Aventureux ?

Carine : Dans ma vie personnelle, avec mes amis, j’abordais déjà beaucoup des sujets similaires. J’ai trouvé l’opportunité de pouvoir le faire en podcast très intéressante. J’adore parler des jeux de rôle sous tous les angles et je venais de trouver un groupe avec qui je pouvais le faire ! De plus, j’ai beaucoup apprécié faire la partie avec eux. J’aimais également leur objectif qui est de promouvoir ce hobby qui est souvent encore mal connu. Tous ces éléments ensemble m’ont motivé à faire le saut.

EPEJ : Qu’est-ce qui te plaît dans le fait de podcaster ?

Carine : Ce qui me plaît le plus est le fait de discuter d’un sujet que j’aime avec plein de gens qui ont des approches et des idées différentes! Les Aventureux, d’une part, mais également toute la communauté qui commence à se créer autour de nous (Discord, personnes rencontrées dans les conventions, Facebook,…). Je suis très heureuse lorsque des joueurs essayent un jeu après nous avoir écouté. Nous essayons beaucoup de faire la promotion de jeux dits alternatifs et de créateurs indépendants. Alors de faire découvrir différents aspects du jeu de rôle me stimule beaucoup.

EPEJ : Joues-tu avec un groupe régulier ?

Carine : Oui. J’ai en fait 2 groupes réguliers. Un avec lequel j’avais une partie de Donjons et Dragons 4e édition qui c’est transformée en 5e édition en cours de route. Ce groupe se rencontre un peu plus sporadiquement car plusieurs ont des enfants et plusieurs obligations de vie. Nous devrions cependant commencer une partie de Cthulhu en 2018, si la logistique nous le permet. J’ai aussi un autre groupe avec lequel je faisais une partie de Numénéra depuis maintenant 1 an. Je les ai récemment convaincus qu’à la place nous allions faire des essais de plusieurs jeux de rôles différents. Je suis super enthousiaste à l’idée d’essayer plein de jeux indépendants et de nouveaux jeux dans la prochaine année. C’est un groupe avec lequel je me sens à l’aise de tester différents thèmes et systèmes et ce sont souvent eux qui me servent de « cobayes » pour que je pratique les parties que je maîtrise en convention.

EPEJ : Es-tu joueuse uniquement ou bien maîtrises-tu des parties ?

Carine : Je suis les 2. J’ai commencé en tant que joueuse. J’ai pendant plusieurs années cru que maîtriser n’était pas pour moi, suite à une mauvaise expérience durant mon adolescence, où j’ai échoué lamentablement lors de la maîtrise d’une partie de Donjons et Dragons 2e édition. J’ai recommencé à essayer de maîtriser il y a de cela maintenant environ 2 ans. Je dois avouer que je trouve cela plus simple et plus intéressant pour moi de maîtriser des jeux indépendants qui sont souvent faits pour de courtes parties. J’ai plus de difficultés à faire des campagnes long terme. Depuis maintenant un peu plus d’un an, je maîtrise également en convention.

EPEJ : Es-tu créatrice de JdR en plus d’être consommatrice ?

Carine : Non, je n’ai jamais créé de JdR.

EPEJ : Est-ce que c’est parce que ça ne t’intéresse pas ?

Carine : Je trouve le processus de création très complexe. Cela nécessite un grand investissement en temps et en énergie. Pour le moment, dans ma vie actuelle, je préfère prioriser d’autres éléments que celui-ci.

EPEJ : Quel est ton JdR préféré ?

Carine : Alors, cette question est pour moi impossible à répondre. Cela dépend d’avec qui je joue, de mon humeur du moment, de où je suis rendue dans ma vie, du temps que j’ai… Bref, de mille et un facteurs qui font que la réponse change constamment. En plus, je découvre souvent de nouveaux jeux, alors les nouveautés sont souvent plus stimulantes car elles apportent de nouvelles expériences. Cependant, je conserve précieusement les souvenirs des jeux qui m’ont fait vivre plein de choses dans le passé. Je ne pourrais donc pas vraiment choisir entre mes nouveaux amours ou mes anciens. Pour moi, tous les jeux ont le potentiel d’apporter quelque chose. Je dis souvent à la blague que je fais de la polygamie (gamie ici se prononce « game » comme le mot « jeu » en anglais). Je peux cependant dire que parmi mes préférés du moment se retrouvent Fall of Magic, Bluebeard’s Bride, Don’t rest your Head et Dread. Je ne serais pas surprise que ma réponse soit totalement différente dans quelques mois.

EPEJ : Pour beaucoup de monde, l’image qu’ils ont du JdR québécois est celle de « Tom et ses chums » (Farador). As-tu déjà été confrontée à ce stéréotype ?

Carine : Quoique je n’ai jamais complètement adhéré à ce stéréotype, en partie car je suis une femme, lorsque j’étais adolescente, j’y correspondais beaucoup plus, ou plutôt je tentais de l’être. Pour moi, le jeu de rôle était une question d’identité à ce moment, et donc c’était quelque chose de très sérieux qui devait absolument se dérouler d’une manière très précise. Mes amis étaient tous des « gamers », de même que mes conjoints. Je devais être une « gameuse » et agir de cette façon pour je sois acceptée par les autres « gamers ». Avec le temps par contre, je me suis détachée de plus en plus de ce stéréotype et j’ai appris à amener le jeu de rôle à qui je suis plutôt que d’essayer de rentrer dans un moule. Le jeu de rôle est plus devenu une activité que j’apprécie mais ne me définit pas. C’est quelque chose que je fais et non qui je suis. Je pense, du moins pour moi, que cette approche me convient mieux et est beaucoup plus saine. Je me sens mieux dans ce type d’environnement.

EPEJ : Qu’est-ce que tu trouves dans le JdR que tu ne retrouves pas dans un autre loisir ?

Carine : Il y a plusieurs choses que je retrouve dans le jeu de rôle. Premièrement, c’est un loisir qui me permet une liberté créative que j’adore. Je raffole de ne pas savoir comment l’histoire va se terminer et la voir se développer au fur et à mesure que nous prenons des décisions et faisons nos actions. Par ailleurs, le jeu de rôle est très stimulant sur le plan intellectuel, tant de par la résolution de problèmes et d’énigmes que de par la stimulation de l’imagination, et ce, autant par ma participation que celle des autres. Je suis toujours emballée lorsque je vois des joueurs trouver des solutions ou amener l’histoire dans une direction que je n’avais même pas songée. Mais, ce qui me plait le plus dans les jeux de rôles, c’est l’aspect expérientiel. Je suis une personne sensible et parfois, lorsque les bonnes conditions sont présentes, je peux vivre beaucoup d’émotions dans une partie, et je passe beaucoup de temps à tout analyser ces informations. Et cela est pour moi une source d’apprentissage infinie! Cela m’aide ensuite à mieux comprendre les gens et à mieux me comprendre moi-même.

EPEJ : Qu’est-ce qui te fera arrêter de jouer au JdR, le moment venu ?

Carine : Je fais du jeu de rôle depuis maintenant 26 ans. Je ne pense pas que je vais jamais complètement arrêter. Il y a eu des périodes de ma vie où je n’ai plus joué pendant plusieurs mois par contre. Ma fréquence de jeux varie également beaucoup en fonction des phases de ma vie et de ce qui s’y passe. Ma pause la plus longue sans aucun jeu de rôle a été d’environ 1 an. J’avais arrêté à ce moment car je devais passer mes examens de fins de résidences pour graduer et devenir psychiatre. Si je dois couper le jeu de rôle pour avoir plus de temps pour un projet important ou pour mes proches je n’hésiterai pas à le faire. Cependant, dès que la situation se calmera, je recommencerai à jouer. De plus, avec la présence de plus en plus de jeux indépendants et se jouant en une seule soirée, je pense que le risque d’un arrêt complet ne se représentera pas.

EPEJ : En plus du JdR, pratiques-tu des activités connexes comme le GN ?

Carine : Je n’ai pas fait beaucoup de grandeur nature durant ma carrière de rôliste, cependant, à mon avis il y a des différences. Dans une partie sur table, il est important de conserver le flot et de tenter de rester en jeu autant que possible, mais cela est beaucoup moins dommageable pour l’ambiance si on décroche de notre jeu. Je trouve que le jeu sur table permet un temps plus grand de réflexion et d’analyse, alors que dans le « actual play » la spontanéité prend une place beaucoup importante. Aussi, souvent, le fait de jouer sur table permet de prendre une distance plus grande entre le personnage et nous. Dans le « actual play », la barrière entre nous jouons un personnage et nous sommes le personnage est, dans mon expérience, beaucoup plus mince.

EPEJ : Tu as la réputation de jouer des personnages bourrins (et tu le fais super bien). Est-ce que c’est quelque chose que tu revendiques ? Est-ce que ça dit quelque chose de ta façon d’aborder le JDR, à ton avis ?

Carine : Après un sondage auprès des gens avec qui je joue régulièrement, le verdict est que je fais souvent ce type de personnage lorsque les parties sont publiques ou enregistrées, mais que cela n’est pas la même chose dans mes parties dans mes groupes réguliers. Je pense que cela parle surtout de moi, et du fait que je me sens moins vulnérable lorsque j’interprète ce type de personnage, puisqu’il est très différent de ma personnalité. Dans mes parties « privées », je fais souvent aussi des personnages qui, sans utiliser la force physique, vont être très directifs dans leur conduite. Cet aspect parle, je crois, un peu plus de ma façon d’aborder le jeu de rôle. Ce hobby est pour moi une façon d’expérimenter diverses émotions. Nous pouvons l’utiliser pour vivre certaines fantaisies que nous avons ou pour explorer des dynamiques différentes. En jouant ce type de personnage, je profite donc de ces caractéristiques du jeu de rôle pour vivre ma fantaisie de me sentir forte et puissante, sentiment opposé à mon vécu dans mon quotidien.