Portrait : Virginie

Virginie Tacq se définit comme une médiatrice ludique et game designeuse. Elle est fondatrice de Ludilab (un collectif qui accompagne des auteurs et des créateurs dans la création de leurs jeux) et de Paye ton jeu, un site qui traite du sexisme ordinaire dans le milieu du jeu. Autant dire que nous avons des atomes crochus…

EPEJ : À quel moment de ta vie as-tu su que tu voulais travailler dans le domaine du jeu ?

VT : Après mon année de spécialisation en sciences et techniques du jeu à la Haute École de Bruxelles. Au départ, ce devait surtout être une opportunité de développer un fonds jeux de rôle dans le bibliobus dans lequel je travaillais à l’époque.

EPEJ : As-tu fini par monter le fonds JdR dans ton bibliobus ?

VT : Non, des changements d’employeur m’ont finalement orientée vers autre chose.

EPEJ : Tu te définis comme game designeuse. Qu’est-ce que ça englobe, concrètement ?

VT : Je travaille sur la création de mes propres jeux. J’accompagne également des associations dans le développement de leurs jeux (de sensibilisation, par exemple) et je donne des ateliers, des stages dans lesquels le public peut apprendre à créer des jeux (adultes, enfants). Il y a aussi pour moi un aspect important de réflexion sur la place du jeu en tant qu’objet culturel.

EPEJ : Beaucoup de créateurs de JdR sont des autodidactes. Penses-tu que le milieu aurait à y gagner en suivant des formations sur le game design ?

VT : Tout dépend de leur contenu et de leur organisation. On pourrait assister à un formatage. D’un autre côté, les formations peuvent aussi être des lieux de réseautage et déboucher sur des projets en commun, sur l’élargissement de son horizon…

EPEJ : Arrives-tu encore à jouer à un jeu sans essayer de le décortiquer d’un point de vue design ?

VT : Quand je joue à un jeu, je pense surtout à m’amuser et à bien comprendre les règles ! 🙂 Quelquefois, une mécanique me semble vraiment intéressante, originale : dans ce cas, je vais déployer mes antennes de game designeuse. Je reste tout de même attentive à cette dimension mais sans qu’elle prenne forcément le dessus systématiquement.

EPEJ : Le Tumblr Paye ton jeu publie des témoignages de sexisme dans le monde du jeu. Comment est-il né ?

VT : Avec une amie, on en avait marre du sexisme ordinaire qui régnait sur un gros groupe Facebook parlant de jeux de société. Chaque fois qu’on faisait remarquer ce sexisme, on se faisait enflammer et souvent les postes entiers finissaient effacés pour enterrer le conflit. Donc on a voulu créer un espace de visibilisation et de rassemblement, pour se sentir moins isolées face à ce problème.

EPEJ : Est-ce mission réussie, de ce point de vue ? Avez-vous rassemblé des alliés autour du projet ?

VT : Nous avons aujourd’hui dépassé les 2 000 personnes qui suivent notre page. Nous avons en tout cas atteint notre objectif à nous, celui de donner un canal d’information et la possibilité de témoigner et de partager à ce propos.

EPEJ : Puisque tu vis à Bruxelles mais que tu as fait tes études à Paris, vois-tu une différence entre les joueu·r·se·s des deux pays ?

VT : Je commence à peine à Paris en fait 😉

EPEJ : Pratiques-tu ou as-tu pratiqué le jeu de rôle sur table ?

VT : Quelques parties dans le passé. Surtout de l’Appel de Cthulhu. Un peu d’Eclipse Phase aussi. Et j’ai maîtrisé Toons une fois.

EPEJ : Pourquoi as-tu cessé d’y jouer ?

VT : Par manque de temps essentiellement.

EPEJ : As-tu le sentiment que ton engagement féministe te nuit parfois, dans ton milieu de travail ?

VT : Oui, quelquefois. J’échange souvent de vifs propos sur des sujets féministes avec des acteurs (hommes) plus ou moins importants du milieu. Certains m’ont retirée de leurs contacts FB notamment. Donc ça ne nuit peut être pas (encore) directement à mon travail, mais ça ferme peut être quelques portes pour l’avenir. A contrario, je rencontre des femmes qui ont envie de construire des projets professionnels avec moi donc ça peut aider aussi.

EPEJ : Comment ton expérience de ludothécaire a-t-elle influencé ton approche du design ?

VT : Ça m’a apporté une attention à toujours mettre le public en premier, à voir la création de jeux comme la création d’une expérience avant tout. Il m’arrive de créer des jeux comme expression artistique, pour lesquels je me concentre sur d’autres aspects mais en choisissant consciemment la place qu’auront ou n’auront pas les joueur·euses dans le dispositif.

EPEJ : Penses-tu qu’on vive dans l’âge d’or du jeu de plateau ?

VT : Je suis un peu dubitative par rapport à ce terme. Si on évoque par là uniquement l’abondance, peut-être. Quoique ça reste encore un loisir de niche même si celle-ci s’élargit, donc on pourrait imaginer une diffusion encore plus large sans trop de difficulté je pense. Mais je ne suis pas économiste 😉  

EPEJ : Quelle sera la prochaine grosse évolution du monde du jeu, selon toi ?

VT : Je ne devine pas l’avenir malheureusement. Par contre, celle que je souhaiterais serait l’émergence d’une vraie frange indie dans le jeu de société.